La fille avec la clé dans le cou

Ce texte a originalement été publié sur mon compte Facebook personnel le 9 mai 2014

fille clé

Je me suis un peu inspirée de l’article Fille de Clark Kent et d’une mère indigne, mais c’est que je m’identifie un peu à ces parents qui ne rejettent pas tout de leur enfance désorganisée…

La première fois que j’ai dit à mon mari que, dans certains contextes, notre futur ado pourrait prendre l’autobus municipal pour se rendre chez un ami plutôt que de toujours se fier sur nous, j’ai eu droit à un regard de tueur! Il a grandi avec une maman à la maison, moi avec un père qui faisait de “l’overtime” comme on disait et une mère qui faisait son possible avec une job à temps plein à une époque où la conciliation travail-famille n’était pas inventée.

À 7 ou 8 ans, j’avais une clé dans le cou. Ma soeur de 3 ans et demi plus vieille et moi, on se “gardait” pendant 1-2 h, le temps que ma mère rentre du travail. À côté du téléphone avec un fil, on avait la liste des numéros d’urgence. On nous avait aussi bien expliqué de barrer toutes les portes, de n’ouvrir à personne et de ne jamais dire que nous étions seules à la maison au téléphone. En cas d’urgence (lire on a oublié notre clé), on pouvait toujours aller cogner chez Josée, notre voisine et ancienne gardienne, qui soufflait les bobos avec des bisous. On n’avait pas peur. On était bien ensemble.

Au même moment où j’ai commencé à faire de l’équitation, j’ai aussi commencé à travailler dans le commerce familial… à 12 ans! Ok, c’était sans doute un peu (trop) jeune, mais pour mon père qui a grandi dans une famille de 14 enfants sans moyen, qui a été obligé de lâcher l’école pour travailler avec plusieurs autres de ses grands frères et sœurs, remplir les sacs des clients et regarnir les tablettes, c’était une partie de plaisir! Bref, avec les sous que je gagnais, je payais mes cours d’équitation. Les affaires qui coûtent cher, ça se payait en travaillant pour mes parents.

Quand je voulais aller magasiner une journée d’été, je prenais l’autobus municipal. Mes parents pouvaient pas aller me porter, ils travaillaient. Parfois, ma soeur et moi on s’organisait une randonnée en vélo entre St-Jean et Chambly, sur la bande du canal. Deux filles seules à vélo sur la bande du canal… jusqu’à Chambly! Aujourd’hui, on appellerait sans doute la DPJ…

Sans compter toutes les p’tites “badlucks” qui ont pu m’arriver, comme goûter à de la boule à mites à 3 ans, débouler les escaliers un peu avant, attraper l’herbe à puces en jouant dans le champ d’en face, manger du sable, etc. Parce que, oui, c’était des malchances, des petits moments de mon existence où ma mère n’était pas collée à mes baskets.

Quand je suis partie à l’Université, toute seule à Sherbrooke, sans de vraies économies, que j’ai mangé autant de beurre de peanut le soir que le matin, les 18 années d’avant m’ont bien servies. J’étais débrouillarde, autonome, je n’avais pas peur de travailler et même si je savais que mes parents se rongeaient parfois les os à me regarder “bûcher”, ils ont choisi de me laisser apprendre par moi-même. Incapables de m’aider financièrement, ils m’ont offert de revenir à la maison pour, au moins, que je n’aie pas d’appartement à payer. J’ai refusé.

J’ai encore refusé quelques années plus tard quand des décisions un peu impulsives m’ont menées à devoir occuper un emploi de jour et un autre de nuit pour me sortir de la merde.

Je ne veux pas que mes enfants travaillent à 12 ans. Je ne veux pas qu’ils soient obligés de payer leur université seuls. Je ne veux pas qu’ils passent plus de temps à la garderie qu’avec moi. Je ne veux pas, non plus, qu’ils travaillent nuit et jour. Mais ce que mon enfance m’a appris, c’est que peu importe la situation, j’y arriverais. Que quand on veut réellement quelque chose, il n’y a jamais rien d’impossible. Et à ça, je dis OUI.

Je ne veux pas que mes enfants aient peur, mais je veux qu’ils apprennent à être prudents. Je ne veux pas que mes enfants ne puissent jamais compter sur moi pour un “lift”, mais je veux qu’ils ressentent la fierté de se débrouiller seuls parfois. Je ne veux pas qu’ils manquent d’argent, mais je veux qu’ils sachent la valeur des choses. Je ne veux pas qu’ils prennent des risques inutiles, mais je veux qu’ils aient le goût de l’aventure de temps en temps.

Quand j’ai expliqué tout ça à mon mari, j’ai vu son regard de tueur se changer en fierté. J’ai su que, la p’tite fille de 8 ans avec sa clé dans le cou arriverait à devenir une bonne maman.

 

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