Pour toi, petite Marie

Depuis le départ de Karl Tremblay des Cowboys Fringants, je me surprends avec une boule dans la gorge à tout moment. C’est vrai que leur musique et sa voix à lui font partie de l’ADN des Québécois. Mais il y a plus que cela… son départ me ramène inévitablement au tien. Il y a des étoiles moins connues, mais tout aussi brillantes.

Aujourd’hui, tu aurais eu 40 ans. J’ai l’amertume au cœur juste de penser que tu n’auras pas cette chance… celle de célébrer ce nombre que plusieurs redoutent. Tu aurais tout donné, toi, pour y arriver! Tu as d’ailleurs tout essayé, à en charcuter ton corps et ton amour propre.

C’est fou à quel point cette injustice me donne envie de crier! J’ai envie de trouver des coupables. Comment se fait-il que tant de quarantenaires et moins doivent faire leurs adieux à cause du cancer? Pourquoi tant d’enfants pleurent la mort d’un parent avant même d’avoir célébré leur bal de finissant? L’Amérique pleure en esti!

À travers cette rage et cette peine, j’essaie de te faire honneur. Tu n’aurais pas voulu de mes larmes, tu souhaitais plutôt que je profite d’être ici, maintenant, entourée de ces enfants en grève qui m’énervent… mais que j’aime tant! On en aurait rit, justement. Tu voudrais que je savoure chaque instant avec mon mari, toi qui n’aies pas pu dire oui à l’homme de ta vie.

Véro et son amie Marie-Annick.

Tu avais peur que l’on t’oublie. Sois sans crainte, mon amie. 

Ton rire résonne dans ma tête chaque jour! On va se le dire, tu n’as pas toujours été sage! Tu avais ce doux mélange de maman-née et de petit ange cornu que je connais moi-même si bien! Tu étais à la fois puissante et douce, intelligente et remplie de folie. Tu es de ces humains qui laissent un sillon derrière eux, et j’ai bien envie de m’y laisser promener de temps en temps.

Je me rappelle t’avoir demandé comment tu faisais pour trouver la force de te relever et de continuer à te battre. Ta réponse était en fait une question lourde de sens: “Est-ce que j’ai vraiment le choix?”.

En réalité, personne ne t’en aurait voulu, tsé. Mais je comprends. Vivre. C’était la seule option. Jusqu’aux derniers instants, il n’y avait pas de plan B. Au fond, n’est-ce pas la seule façon de voir les choses?

Tu as tenu à m’offrir quelques dernières paroles. Parmi celles-ci: “Ne doute jamais du bien que tu fais autour de toi.” C’est un cadeau inestimable, et j’en fais maintenant aussi une responsabilité.

Véro dans le désert! Tu en étais fière.

Je ris, chante et danse!

Je célèbre les anniversaires et les fêtes pour les cadeaux qu’ils sont!

Je m’inquiète pour mes enfants, les accompagne, les aime.

Je chéris l’amour qui m’est offert et l’offre en retour.

Je grandis des difficultés.

Je joue, rêve et recommence!

Je partage la vie avec ceux qui font partie de la mienne.

J’ai 40 ans pour moi, pour toi, et pour tous ceux qui n’ont pas soufflé autant de bougies.

Bonne fête mon amie! Tu es encore ici, tu vois?

Dans la salle d’attente – Ou l’histoire anodine d’un sein bien moyen!

Il y a un an, je devais passer des tests pour la deuxième fois. J’ai écrit ce texte peu après, mais j’avais manqué de courage pour le publier… je trouvais ça égoiste d’écrire là-dessus alors que tellement de gens se battent pour leur vie. Maintenant, à un mois de m’envoler vers le Maroc pour soutenir la cause du cancer du sein, je sais que je n’ai pas le choix. Chères combattantes et survivantes, je suis avec vous.

C’est la deuxième fois que je me retrouve ici. Pour une bosse. C’est sûrement rien, mais ça peut être tellement de choses aussi… Mon regard croise celui d’une femme. Une autre blonde, à peine plus vieille que moi. Je vois dans ses yeux les mêmes doutes. Mais vite notre tête se détourne. C’est trop d’intimité pour deux étrangères. Je ne veux pas qu’elle lise trop en moi et elle pareil.

À part nous deux, celles qui nous entourent sont des femmes plus âgées. Elles ont l’air détendues, la plupart ont même un sourire aux lèvres. Elles sont sûrement là pour les dépistages “normaux”, tsé ceux qu’on a après 50 ans. Pour elles, il n’y a pas trop de stress à avoir, je soupçonne même en les voyant discuter ensemble que c’est l’occasion de faire un peu de social…

L’autre blonde est appelée. Elle se lève d’un bond. 

“Je te comprends”, que je me dis.

Sur cette chaise trop dure, je pense à mes enfants. Et au beau matin qu’on a eu. Il y avait une thématique “cheveux fous” à l’école. Ils étaient si motivés! On s’est levé plus tôt pour faire ça. Des cheveux rouges pour le grand, des bleus pour le benjamin et deux chignons pleins de brillants pour la cadette. Je pense à leurs grands sourires et ça me remplit de joie. Au même moment, ma gorge se serre. Et si je n’étais plus là…

“Arrête Véro, voyons, calme-toi! Ne pense pas à ça!”

Mon docteur m’a bien dit qu’elle n’était pas inquiète. Mais elle m’a aussi dit qu’elle voulait que je passe les examens dans le prochain mois. Pourquoi si vite?

Évidemment, j’ai pensé à toutes ces personnes malades autour de moi. Elles aussi, elles étaient dans une salle d’attente à essayer de dédramatiser. Certaines ont le même âge que moi. Et je sais très bien que quelques-unes ne peuvent plus faire autre chose que de s’accrocher à un miracle qui n’est pas encore venu.

J’ai tellement de peine pour elles. Je n’ose pas imaginer ce qu’elles ont ressenti dans cette salle d’attente, puis dans l’autre après, et encore l’autre où le verdict est tombé. Nous sommes toutes assises là, cordées comme des poulets dans un abattoir, notre existence tout à coup réduite à un simple examen.

En tant que bonne braillarde, j’ai vu mon regard s’embrouiller de larmes.

Respire Véro! Respire! T’es bien trop dramatique!

La porte s’ouvre. La radiologiste sort. Ce sera bientôt mon tour, enfin. Mais je sais que je devrai patienter encore un peu lorsque je l’entends s’adresser à son assistante:

Viendrais-tu m’aider? Je dois faire une ponction.

Ah shit, c’est l’autre blonde qui est là-dedans! Une ponction, c’est pas bon signe. Je ressens soudainement une intense solidarité envers cette femme que je ne connais même pas. Est-ce qu’elle a des enfants? Est-elle amoureuse? J’espère que ce n’est pas une rechute…

Je suis malheureuse pour elle, mais je suis contente que ce ne soit pas moi allongée sur cette table d’examen, les seins nus, une paire de mains gantée et trop froide qui me touche et quatre yeux qui regardent l’inévitable.

Mon tour est venu. La même assistante m’accueille avec un sourire. Il faut bien rester positive et calme pour les prochaines… Il faisait froid dans cette petite salle qui m’a semblé beaucoup trop grande pour une si petite bosse.

Allongée dans mon plus simple appareil, je me sens vulnérable. Depuis mes histoires d’allaitement peu fructueuses, je suis habituée à ce que des inconnues me tripotent les seins. Ça a beau être fait de façon professionnelle, me faire écraser, tapoter, tirer et échographier le sein me donne chaque fois l’impression qu’une petite partie de mon intimité est violée.

Free de boobies!” Ouin, non, pas tant!

Finalement, mon sein moyen va très bien. Une mammo, une écho et des jours de stress plus tard, ils n’ont rien vu. J’ai revu mes enfants et un grand soulagement m’a fait dire un “merci” un peu tremblotant à la radiologiste.

Tu vois? Ça servait à rien de paniquer fille.”, que je me suis dit.

C’est quand même avec le cœur lourd que je suis sortie. La femme avant moi n’a pas eu la même chance. Avant d’entrer pour mon examen, j’ai entendu bien malgré moi des petits bouts du rapport de la radiologiste à travers la porte fermée. Les nouvelles ne sont pas bonnes pour cette femme dont je ne connais rien… sauf peut-être le fait que ça aurait pu être moi.

Une femme sur huit développera un cancer du sein dans sa vie. Une sur 31 en mourra. Une de mes amies qui en est atteinte m’a dit une fois que la publicité où on voit les gens tombés par l’arrière en entendant le diagnostic était vraiment l’impression qu’on avait… La vie s’effondre devant nous.

Je ne compare en rien mes petites incertitudes aux émotions que les personnes atteintes du cancer ou de maladies graves peuvent ressentir. Simplement, quand on vit ça au moins une fois dans notre vie, on a un bref aperçu de toute la force et le courage que ça demande de se battre pour survivre. Ça donne aussi encore plus le goût de profiter de chaque instant et d’honorer la chance d’être en bonne santé.

Fait que “Go, vas vivre ta vie!”, comme je dis à la blague à mes enfants quand ils sont trop collés à mes baskets!


Octobre, c’est le mois de la sensibilisation pour le cancer du sein. Si ça te dit, fais un don!

De quoi vas-tu remplir ta vie après Covid?

Au cas où tu lirais ça dans 10 ans, c’est l’ère Covid-19 en ce moment. Tsé, la fois où on a été en confinement pendant des semaines (ce sera peut-être des mois, on en sait trop rien encore)? La fois où les écoles étaient fermées, où matante Ginette n’a pas pu s’acheter une autre paire de souliers parce que les centres d’achat étaient morts ou que Raymond n’a pas eu son meeting hebdomadaire avec ses amis bikers au Tim Hortons du coin…

Moi, en ce moment, je t’avoue que je le prendrais en deux secondes mon souper d’amoureux au resto! En fait, chaque jour, je valse entre l’envie folle de foutre mes enfants dehors et de barrer toutes les portes à jamais et celle de dormir collé tout le monde dans le salon parce que je réalise à quel point je les aime! Je devrais sans doute m’inquiéter pour ma santé mentale aux allures de bipolarité, mais je préfère nettement la thérapie par écrit!

Outre les poignées d’amour que j’engraisse avec soin et les cris de mouettes des enfants que j’ai peine à tolérer, y’a des bons moments aussi. Comme faire du spinning deux fois semaine avec mon mari (je pourrais y voir un désir de sa part de me faire dégraisser, mais je préfère croire qu’on aime simplement suer à deux), ou apprendre un nouveau mot d’anglais aux enfants chaque soir au souper.

Avouons que nos enfants n’ont jamais autant joué dehors que maintenant que leur droit de sortie est limité! Je ne les ai jamais vus aussi intéressés par les oiseaux qui sont en période de nidification, jamais ils ne s’étaient inventé une bascule avant ce fameux printemps 2020! Jamais ils n’ont autant apprécié jouer à la tague ou faire un tour de vélo.

À vrai dire, je trouvais ça triste. J’avais même honte, parfois. Je les regardais, ces enfants que j’avais bercés et chéris et je me demandais souvent pourquoi le monde avait autant changé. Un monde édulcoré, ou le selfie retouché, filtré, léché et instagrammé était devenu la voie à suivre. Je m’ennuyais des faces pleines de boue de mon enfance, des heures à jouer dans le champ en face et d’entrer dans les maisons en construction. Je me demandais bien où étaient passés les jujubes à cinq sous qu’on allait chercher en vélo et qui semblaient être un vrai trésor dans leur sac de papier brun.

Disons-le, les adultes n’avaient pas meilleure réputation! Zombies sur leur cellulaire (quoique ça, c’est pas le virus qui va tant nous aider!), plus occupés par la prochaine promotion que par voir leurs enfants grandir. Ou encore à passer des heures dans des gyms pour apprendre à bouger et mieux manger à coups de pots de pilules, alors que la nature a tout ce qu’il faut pour nous tenir en santé!   

Et Covid s’est assuré de nous rafraîchir la mémoire! Les épiceries sont fermées le dimanche, on passe pas notre temps à s’acheter des bébelles dont on n’a pas besoin. On a recommencé à cuire du bon pain maison, à faire une soupe pleine d’amour, à téléphoner à nos proches plutôt que de se texter entre deux likes sur Facebook. On a compris ce que ça veut dire le mot “gratitude” en pensant aux travailleurs de la santé dévoués et aux milliers de “commis” qui servent avec le sourire malgré le fait qu’ils aimeraient peut-être, eux aussi, apprendre un nouveau mot d’anglais à leurs enfants…

On était souvent sans saveur. Une gélatine transparente qui gonfle tout mais qui goûte rien. On gonfle l’hypothèque, le char, la piscine, l’école privée. On gonfle nos lèvres, nos pattes d’oie, nos cartes de crédit. Une vie entière gonflée d’apparences. Une grosse balloune vide.

Maintenant qu’elle a éclatée, vas-tu refaire la même chose? De quoi vas-tu remplir ta vie après Covid? Avons-nous enfin retrouvée notre humanité?

Je rêve de jardins à profusion. De voisins qui connaissent leurs noms. D’enfants qui jouent à la corde à sauter ou qui construisent des cabanes dans les arbres. Je rêve d’une terre en santé et abondante. Je rêve d’un meilleur équilibre entre le verbe être et le verbe avoir.

Nous avons finalement compris la valeur des vrais contacts humains, la chaleur d’un câlin, le bonheur d’un rire partagé, l’importance de la famille et des amis. La joie de rendre visite à grand-maman dans son centre et de l’entendre raconter ses souvenirs…

Il ne faut pas retourner comme avant. Faisons mieux. Faisons plus vrai.