T’avais quatre ans je pense quand j’ai commencé à avoir certains doutes. De petits détails qui me chatouillaient par en-dedans. Comme une impression que mon coeur de mère vibrait pour quelque chose que ma tête n’arrivait pas à identifier. Tsé, quand je te montre où ça fait mal quand il se passe quelque chose de pas correct. Le creux en plein milieu de la poitrine… oui, c’est ça que je sentais.
Comme toute bonne mère qui n’a pas pleinement confiance en son instinct, j’en ai parlé un peu autour. Pour être rassurant sans doute, on me disait que: “c’est juste un petit manque de maturité”, “il a besoin de travailler sa motivation”, “c’est un garçon, tsé, c’est pas comme une fille!”, “c’est l’âge, un moment donné il va finir par comprendre”, “parfois, il faut serrer la vis un peu”…
Je m’excuse pour ça. Si je m’étais écoutée davantage, j’aurais été moins dure avec toi. Ou du moins plus juste. J’aurais pas autant crié. J’aurais laissé plus de place à ta petite tempête d’émotions. Pas pour qu’elle tourne en ouragan. Non, pour la calmer. Pour t’aider à trouver des solutions.
J’ai pensé que des limites plus claires, plus tranchantes seraient la solution. J’avais pas pensé que ces mêmes limites pouvaient être implantées avec douceur. Au lieu de calmer ta tempête, je t’ai exposé mon désarroi, mes frustrations, mes incompréhensions et mes déceptions à coup de soupirs, de yeux qui roulent, de cris que j’avais pas prévus et de larmes qui débordent derrière une porte de salle de bain.
Puis t’es venu me dire pour la première fois que tu n’étais pas intelligent, que tu étais poche. Dans tes grands yeux plein de tout sauf de pochitude, j’ai vu ta profonde peine. Toi, mon beau garçon brillant et doux! Toi, pas intelligent? Toi, poche? Un bourdonnement dans mes oreilles. La sensation d’échec. Une lourdeur au coeur que je ne devais pas te laisser voir.
J’ai réalisé qu’on se trouvait dans des sables mouvants. Que t’avais besoin de ma main pour te sortir de là. Tu venais, sans le savoir, de créer le pont qui manquait. Pas entre toi et moi. Entre moi et ton petit plus. Fallait absolument que j’arrive à te montrer la personne fabuleuse que tu es. À partir de ce moment précis, tout a changé.
J’étais encore loin de me douter de toute la beauté et de tout l’enrichissement que tu apporterais dans notre maison.
La psy nous a dit une phrase que je me souviendrai toujours: “Ce n’est pas à lui de s’ajuster à vous, c’est à vous de vous ajuster à lui.” Moi, qui essayais de te “faire comprendre” des affaires qui me semblaient pourtant évidentes, je comprenais à mon tour que je ne savais pas grand-chose sur le fonctionnement de ton cerveau!
Je me doutais bien que ton petit extra s’appelait TDAH, mais savoir que sa présence était bien réelle a été à la fois une délivrance et un choc. On venait enfin mettre des mots sur l’impuissance que je ressentais depuis quelques années. Mais maintenant, il faut vivre avec, lui faire une vraie place dans notre chez-nous. L’accueillir avec tout ce que ça comporte.
On décrit souvent le TDAH comme une bibitte créative qui grimpe partout! Mais toi, t’es un grand tableau dans lequel on découvre des millions de couleurs selon l’angle qu’on prend. Certaines sont foudroyantes, d’autres illuminent la pièce, d’autres encore sont joyeuses et sautillent sur place, de nombreuses sont l’amalgame d’une intelligence remarquable et puis, il y a l’ensemble, toi, que je ne me tanne pas de voir grandir.
J’aurais dû me douter que notre lien profond m’amènerait vers des parties de moi que je n’avais pas encore explorées. Que notre belle relation me sortirait de ma zone de confort et me ferait grandir, encore. J’aurais dû savoir que dans tes grands yeux bruns se cachait une grande source d’introspection et d’apprentissage.
Je comprends maintenant que je ne peux pas t’envoyer simplement te laver et m’attendre à une collaboration immédiate. Je dois t’avertir à l’avance. Te mettre une limite de temps. Te réexpliquer les étapes. On a testé plusieurs jeux. Monsieur Savon est celui qui fonctionne le mieux ces temps-ci. Dans deux mois, il faudra inventer autre chose.
Je ne peux pas prendre pour acquis que tu remarqueras tes propres efforts. Je dois les souligner. Et les re-souligner. Quitte à les afficher sur les murs. C’est ainsi que tu connaîtras ta valeur.
Derrière tes constructions de Lego qui virevoltent dans ta chambre se cache ton manque de confiance en toi. L’impression que tu ne réussiras pas. Ton intelligence créé des attentes élevées, ton TDAH te chuchote que t’es pas assez bon pour le faire. Je dois souligner tous les moments où ta persévérance a payé. Quitte à les afficher sur les murs.
Impossible de te demander ta collaboration tout de suite après l’école. T’as besoin d’un temps pour toi. Sinon, attention! Ton thermomètre intérieur surchauffe. Ton impulsivité me ramène toujours la mienne en pleine face. Je dois te montrer des outils pour l’identifier. Te montrer qu’être calme, c’est payant. T’as besoin d’un cadre, d’une routine bien établie. Tu performes bien avec ça. Ça te rassure. Ne te décourage pas, il viendra un temps où tu le créeras toi-même, ton cadre! Je t’afficherai ça aussi, si tu veux!
Il a fallu changer notre discours, aussi. Être encore plus positifs pour transformer tes sources d’anxiété en opportunités. Un suppléant? Une paire de souliers oubliée à l’école? Un nouveau sport dans lequel tu t’es inscrit? Adieu l’inquiétude mon grand, je sais que tu es capable! Go, un beau défi pour toi! C’est pas facile de te lancer dans quelque chose de déstabilisant. Parfois, j’aimerais tellement rester à tes côtés pour t’aider! Mais le faire pour toi ne serait pas te rendre service. Et je vois à quel point tu bâtis tranquillement ta propre estime. Un petit pas à la fois.
Moi et ton plus, on apprend encore à se connaître. Aujourd’hui par contre, c’est un gros MERCI que je te dis. Merci, mon garçon, de m’avoir amenée à me questionner, à comprendre. Ton petit plus est en train de faire de moi une meilleure personne. Parce que t’as besoin d’un exemple solide et fier. D’une personne qui a confiance en elle. De quelqu’un qui se respecte et qui connaît sa valeur. T’as besoin d’un exemple qui n’a pas peur d’emprunter de nouveaux chemins. T’as besoin d’une mère qui apprend de ses erreurs.
T’as mis un miroir devant mon visage et je n’ai pas eu le choix d’admettre que nous avions semé pas mal de choses en tant que parents. Beaucoup de belles, certes. Et d’autres qu’on pouvait améliorer. Grâce à ton TDAH, ton opposition, ton impulsivité, ton anxiété, ta douance et ta rigidité, je suis devenue une personne plus patiente, plus compréhensive, plus douce. J’apprends encore. Je travaille encore sur moi-même et je ne cesserai jamais.
Et je te fais la promesse de parler de ton petit ingrédient secret à qui veut l’entendre. Parce qu’un TDAH, c’est beau, aussi! Avec toi, on a l’heure juste, tout le temps. J’aime ta répartie, j’aime tes éclats de rire si sincères, j’aime ta curiosité et j’aime découvrir à quel point aucun petit détail dans ton entourage ne t’échappe. Tu me fais voir le monde autrement et je pense que nous avons beaucoup à apprendre d’un enfant comme toi. Moi, j’ai jamais été capable de créer une maison comme ça… surtout pas à temps perdu à l’école!
J’ai beaucoup d’admiration pour ta volonté. Pour ton désir de réussir, de devenir meilleur, même quand je vois que ça bouille en dedans. Quand je prends ton beau visage entre mes mains, que je regarde tes yeux intelligents et que je te dis que tu as le potentiel de faire ce que tu veux dans la vie, de ne jamais laisser rien ni personne t’arrêter, crois-moi! Parce que c’est vrai. Fonce mon coeur! Je sais que tu y arriveras!
Tsé, à la seconde où t’es né, j’ai eu un coup de foudre pour toi. Instantanément, un lien fort s’est créé. Aujourd’hui, tu me fais comprendre plus que jamais que les plus beaux chemins sont rarement les lignes droites. Il faut savoir s’arrêter dans les détours parfois. C’est souvent là qu’on trouve les meilleurs endroits. Pis ceux qui nous regarderont de haut, je les emmerde! Je te suivrai où tu voudras, armée de mon cadre et d’une grosse dose d’amour. Allez, viens, on y va!