À toi, jeune femme immigrante

J’ai vu ce reportage où tu étais en vedette. Une belle jeune femme au grand sourire et aux yeux intelligents. Tu m’as semblé épanouie dès le premier regard.

Pourtant, tu t’es mise à parler de mariage forcé, de violence à cause de l’honneur. De toutes ces atrocités qu’on pense réservées aux autres et qui se passent pourtant dans notre pays, cachées derrière des murs qu’on ne sait pas toujours escalader.

J’ai envie de te dire que tu n’es pas seule. Que la femme québécoise libérée a elle aussi des combats à terminer. Que ses droits sont souvent bafoués, que son consentement est moins lourd dans la balance que certaines envies pernicieuses masculines. Que derrière nos sorties libertines, nos vêtements soigneusement choisis, nos sourires Facebook, se cache encore la Femme en quête de liberté (la vraie), de reconnaissance, de justice.

Il n’y a pas si longtemps, les mariages de convenance étaient assez courants, la sexualité d’une femme voyait le jour qu’une fois mariée, le devoir conjugal l’emportait sur l’amour et le désir, le mari avait le devoir d’éduquer sa femme de la manière dont il jugeait convenable. Je pourrais t’affirmer que tout ça, c’est terminé maintenant. Mais ce serait trahir l’essence même de ce que je suis. Et ce serait te trahir aussi.

La vérité, c’est que bien des femmes tolèrent, ferment les yeux, ont peur, se sentent coupables. Coupables d’attirer une remarque désobligeante. Peur d’être la cause de la violence. Peur de ce qui pourrait se passer. Peur de l’isolement, du jugement, de la honte, d’être brisée en mille miettes et de ne pas savoir comment recoller les morceaux.

On t’a vendu l’image d’un pays ouvert et fort. Et te voilà désarmée devant ces hommes qui jouent à Dieu, autant ici qu’ailleurs. Ici, la femme libre a des liens sournois, invisibles. Ici, la liberté est vraie lorsqu’elle répond aux normes établies et qu’elle ne brise pas trop de tabous. Ici, la liberté s’arrête quand tu portes une jupe trop courte, quand t’as trop bu, que tu es trop ambitieuse ou que l’alcool t’a rendue un peu trop joyeuse. 

Notre sort est dans les mains de ces hommes qui ne trouvent pas ça normal que leur femme se lève uniquement pour préparer leur lunch. Dans leurs mains qui savent changer une couche et dans leurs yeux qui voient là une implication parmi tant d’autres. Dans la fierté de voir la carrière de leur conjointe fleurir autant que la leur… et même plus!

Notre sort est dans les mains de cette maman qui a bien voulu laisser le conjoint gérer la routine du matin et accompagner le cadet chez le dentiste. Il est dans les mots de cette grand-mère qui explique à sa petite-fille qu’elle est forte au lieu d’être belle. Il est aussi dans le partage de ce professeur qui encourage l’élève à poursuivre ses études non conventionnelles. Notre sort est dans l’éducation qu’on se donne, pour qu’enfin, il n’y ait plus de rôles de “femmes” et de rôles “d’hommes”, mais plutôt des engagements avec des responsabilités que l’on se partage. Et du respect. Du bon vieux respect… non… surtout pas du bon vieux respect, parce qu’on sait ce que ça a donné! Optons plutôt pour le nouveau. Un bon nouveau respect plein d’empathie, d’affection, de tendresse. Parce qu’on peut me trouver naïve, mais moi je refuse de croire que c’est ça. Que j’aurai toujours peur de me promener dans les rues le soir et que ce sera pareil pour ma fille.

Et si nous étions plus fortes qu’on le croit? Regarder par terre, c’est terminé pour moi! Ton combat, mon combat, notre combat. Le sort de la Femme n’a pas de race, de religion, de langue. Il est en chacune de nous. Il est dans nos gestes, nos paroles. Dans la peur qui se transforme en courage, dans les yeux qui ne se ferment plus, dans la culpabilité qui ne nous appartient plus. Surtout, il est dans notre propre désir de briller, d’étaler nos pétales déchirées et d’en faire le plus magnifique des tableaux. Il est dans la résilience, dans cette résignation de se servir du plus laid afin de construire quelque chose de beau. Il est dans ces ingrédients qu’on laissera à nos enfants.

Jeune femme immigrante, je voudrais te dire que je suis là, debout. Que la femme québécoise se tient à tes côtés, avec sa liberté écorchée et des murs encore à escalader. Ensemble, apprenons à grimper.

 

Source de l’image via Pinterest

La culture du viol… ou le faux sentiment de liberté

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Culture du viol. Charmante expression, tout de même. C’est gros comme mot. Ça sous-entend une agression, une transgression, une oppression. C’est comme marcher avec un boulet au pied. Eh pourtant! C’est sournois, ça se glisse entre toutes nos failles, nos zones d’ombres, entre ces restants d’infériorité que l’Homme a semé dans la tête des femmes, et aussi, dans celle de nos hommes depuis leur tendre enfance.

Depuis quelques décennies, notre société permet aux femmes de sortir de leur maison, ou d’y rester. On a détruit – ou essayé de détruire – certains tabous, mais l’idée qu’une femme doive servir, plaire et se dévouer à la famille est demeurée empreinte dans les mœurs. On a accepté que les femmes puissent travailler, s’affranchir – tel l’esclave qu’on libère – ou se réaliser. Nos grands-mères ou nos mères ont brandi leur soutien-gorge dans les airs haut et fort en symbole de liberté. Mais cette liberté est-elle réelle?

Pour moi, c’est ça, la culture du viol. Avoir l’impression d’être libre, mais se heurter à des idées préconçues dignes du Mur de Berlin. Mais là, je sors mes belles images, sauf qu’un sujet comme ça, faut en parler sans détours, sans gants blancs. Parce qu’un moment donné, ça fera! 😉

Concrètement, pour toi, pour moi, pour nos enfants, ça veut dire quoi?

 

Histoire vraie 1 – Coucher ou ne pas coucher!

C’est moi, il y a dix ou quinze ans. Jeune femme dans la vingtaine qui rencontre un gars intéressant et qui se dit:

Pas le premier soir, pour pas avoir l’air salope… mais faut pas que je le fasse patienter trop longtemps sinon il va aller voir ailleurs!

Sérieusement? N’est-ce pas une belle preuve que je ne suis libre qu’en apparence? Dans cette réflexion, il n’est pas question de mes sentiments, de mes envies, de mes désirs. Il est question de ce que LUI pense, veut ou souhaite.

Ce n’est pas plus de sa faute à lui que de la mienne. Ce sont les idées qu’on nous met dans la tête depuis qu’on est tout petit. C’est le père qui est fier de son fils quand il ramène plusieurs conquêtes à la maison, mais qui est en colère quand sa fille se dévergonde trop à son goût. Les hommes chassent, les filles attendent le chasseur. Lâchez-moi L’Âge de pierre s’il-vous-plaît!!

Il serait temps qu’on montre à nos enfants le respect de soi et des autres, filles ou garçons. Il serait temps qu’on dise aux garçons que la sexualité est et sera toujours intimement reliée aux émotions et que ces émotions doivent être prises en compte et respectées. Qu’un consentement dans le but de plaire, de ne pas perdre, de ne pas déranger ou d’avoir l’air cool n’en est pas un. Qu’en tant qu’adolescent ou qu’homme, il mérite une adolescente ou une femme qui l’aime et le désire pour ce qu’il est. Et que cette même personne mérite tout autant d’être aimée et respectée. Ce n’est pas important que ce ne soit pas l’amour d’une vie. Ce qui est important c’est que deux personnes qui s’offrent l’une à l’autre se doivent à tout le moins assez de respect et d’affection pour penser autant à l’autre qu’à soi-même… ou autant à soi-même qu’à l’autre.

Il serait temps, aussi, qu’on traite les filles de la même façon que les garçons – et vice versa. Qu’on arrête de leur donner l’impression qu’elles sont moins fortes, moins bonnes, plus vulnérables. Qu’elles doivent faire attention… Il faut plutôt rendre hommage à la force féminine, semer une confiance si forte qu’elles feront de meilleurs choix. Leur dire qu’elles peuvent tout faire, qu’elles méritent l’amour, le respect, l’affection et la tendresse. Qu’être en couple n’est pas de faire un, c’est de marcher aux côtés d’une autre personne, tout en restant soi-même.

 

Histoire vraie 2 – Je suis agace puisque je parle!

Je suis à l’université. Début vingtaine. Je danse dans un bar avec des amies. Je ne suis pas célibataire et je ne prétends pas l’être non plus. Un gars s’approche avec ses amis. Il danse près de moi. Je me retourne vers lui, on danse de façon joyeuse, sans rapprochement et avec nos amis. Je suis amicale, sans plus. Il me demande mon nom. Je lui réponds. Il tente de se rapprocher. Je lui signifie alors que je suis en couple et que je ne fais que m’amuser avec mes amies. D’emblée, il me traite d’agace parce que depuis tantôt que je lui PARLE!

Je ne savais pas que répondre à quelqu’un qui me parle faisait de moi une agace!!! D’abord, c’est quoi au juste une agace? Parce que ça semble avoir le dos large comme concept! Pourquoi une fille n’aurait-elle pas le droit de s’amuser dans un bar, de rire un peu trop fort, de socialiser avec des gars et de quitter seule comme une grande? Pourquoi devient-elle une agace quand elle est en couple ou qu’elle ne souhaite tout simplement pas passer la nuit avec quelqu’un? Pourquoi échanger avec une fille, sans résultat autre que faire une nouvelle connaissance, aurait fait perdre un précieux temps au gars… scusez, au chasseur?

 

Histoire vraie 3 – L’entrevue

Se préparer pour une entrevue d’embauche! L’horreur! Pas de décolleté ou de jupe courte, pour ne pas donner l’impression d’une séductrice. Pas de col roulé, ça fait matante et pogné. Talons hauts, on se pense bonne ou trop confiante. Talons bas on n’est pas féminine. On se maquille un peu trop on est provocatrice, on se maquille peu ou pas on se néglige. Vêtements serrés, c’est trop sexy, vêtements amples, ça grossit. Le jugement sera plus doux si c’est une femme qui dirige l’entrevue… euh, non! Merde, je fais quoi? Finalement, j’y suis toujours allée pour un look traditionnel qui ne me ressemblait pas nécessairement toujours.

Bien sûr, le jugement en entrevue fait partie du processus. Bien sûr, les hommes y sont aussi examinés. Toutefois, le jugement sera plus sévère, plus personnel pour une femme. Son apparence fera partie intégrante des compétences… en bien ou en mal. L’homme, lui, c’est du bonus si son image concorde avec l’emploi. On regarde avant tout son curriculum. Un homme qui a confiance en lui est ambitieux. Une femme qui a confiance en elle n’a pas de cœur. Pour une femme, tout, absolument tout, peut être tourné de façon négative. Faux sentiment de liberté. Sans oublier la célèbre question sur les enfants. Un homme peut ou pas avoir de famille. On prend pour acquis que ça n’aura pas d’incidence sur son travail. Mais la femme… absences en vue! Il serait peut-être temps que cette responsabilité se partage un peu mieux et que la conciliation travail-famille ne soit pas seulement une expression bonbon qu’on aime lire sur un site Internet. Quoi que, c’est bien connu, une femme qui préfère travailler est égoiste et n’aime pas ses enfants! Peut-être qu’elle est une meilleure mère parce qu’elle travaille, mais on s’en fout, ce n’est pas ce que notre culture commande.

Et, ma petite phrase sur la femme qui dirige l’entrevue… ça me ramène directement à mon billet La fraternité maternelle… ou le club sélect du jugement. Les femmes sont tellement compétitives entre elles. Peut-être est-ce à cause de l’image parfaite de la femme parfaite véhiculée un peu partout. On juge les autres parce qu’on se met soi-même cette pression. Come on! La vie man, c’est bien plus beau et surtout bien moins compliqué que ça!

 

Histoire hypothétique 1 – La femme de carrière

C’est la maman femme d’affaires, avec un poste de direction ou d’importance. Celle qui manque parfois les parties de soccer, celle qui travaille tard, celle qui n’est pas parent-bénévole et qui manque parfois les rencontres avec le professeur. Instantanément, on va la juger. C’est une mère sans cœur, une femme qui n’a pas les bonnes priorités, celle qui n’aurait pas dû avoir d’enfants. Je vous pose la question, réagiriez-vous pareil s’il s’agissait d’un homme? Honnêtement, non. Le papa, c’est normal qu’il manque des parties de soccer. Le papa a le droit de travailler tard ou de sortir prendre une bière. Le papa est rarement parent-bénévole et on lui pardonnera de ne pas aller aux rencontres avec le professeur. Voyons! Il a autre chose à faire!

Faux sentiment de liberté. Encore. On fait croire aux femmes qu’elles ont autant le droit de travailler que les hommes… tant et aussi longtemps que sa priorité reste sa famille. Il est où le choix? Je ne parle même pas encore des femmes qui ont choisi de .ne pas avoir d’enfants! Comment peut-on ne pas vouloir d’enfants!? Assurément, elles vont le regretter. Je n’en peux plus de ces phrases remplies d’incompréhension et de manque d’ouverture!

Des histoires, j’en aurais encore des dizaines, voire des milliers, si je fouille un peu autour de moi. En quoi est-ce relié à la culture du viol? C’est simple. Pour moi, tant et aussi longtemps que les femmes ne seront pas égales à l’homme et les hommes égaux à la femme, la culture du viol existera. Parce qu’on continuera de voir la femme comme inférieure, comme un objet de désir d’abord.

Ça me tue! Parce que j’ai eu des exemples de femmes fortes à la pelletée! Parce que mes grands-mères, mais si elles étaient de leur temps, on su tenir tête à leur homme et à leur manière. Elles avaient du caractère et ne se laissaient pas mener facilement. Elles ont traversé de multiples épreuves avec dignité, courage et force. Elles sont une source constante d’inspiration pour moi.

C’est entre autres pour rester fidèle à ces femmes que je porte en moi que je n’aime pas me faire appeler par le nom de mon mari. J’aime ma belle-famille et j’en suis fière. Mais jamais je ne renierai l’héritage laissé par ces femmes non reconnues. Ces femmes dont les noms sont oubliés. J’étais, je suis et je serai toujours une St-Pierre.

 

Et je travaille fort pour que mes enfants soient vraiment libres. Que mes fils soient libres de penser différemment et de faire ce dont ils auront envie. Qu’ils soient ouverts d’esprit et qu’ils voient les femmes comme leur égal. Que ma fille soit libre de ses actes, de ses pensées, de ses désirs, de son corps. Qu’elle n’ait pas besoin de brandir son soutien-gorge haut et fort pour se sentir libre. Qu’à côté de sa culture ne s’insère plus aussi facilement le mot viol…

 

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Pour les Marianne de ce monde

arbre coeur

C’est sous un beau soleil que j’ai eu le goût d’écrire sur un sujet plus sombre. Sur un moment de ma vie qui est resté tabou, comme s’il n’avait jamais existé. C’est d’ailleurs pour ça qu’il faut en parler. Pour ça et pour les Marianne de ce monde…

Je ne la connaissais pas, la belle Marianne qui s’est suicidée le 24 avril 2016, mais ça aurait pu être moi, il y a 20 ans. J’avais 12 ans et le monde à mes pieds. Souriante, première de classe, beaucoup d’amis, personne n’aurait pensé que j’avais en moi une grande souffrance. Je me souviens très bien de ce sentiment. De cette pensée qu’il faudrait que je disparaisse. Que ce monde n’avait pas de place pour moi.

Petit à petit, cette pensée a pris de l’ampleur. J’ai réfléchit au scénario, j’ai écrit des lettres. Je pense qu’au fond, je n’ai jamais eu la réelle intention de partir. Mais j’ai quand même plongé profondément dans la noirceur, tout en restant rayonnante de l’extérieur.

Je me sens bien matante de le dire, mais dans mon temps, les réseaux sociaux n’existaient pas. D’une certaine façon, ça m’a sauvée. Parce qu’au lieu de me confier à des étrangers, j’ai écrit une lettre à mes amies. Elles ont eu la présence d’esprit d’appeler Tel-Jeunes. L’organisme leur a donné certains conseils, comme celui de ne pas me laisser seule. Mes amies, avec qui je n’ai plus aucun contact aujourd’hui, appelaient chez moi sans arrêt. Ça a mis la puce à l’oreille de mes parents…

On avait de la visite cette journée-là. Abruptement, la visite est partie. Je ne comprenais pas trop ce qu’il se passait. J’ai eu ma réponse en entrant. Mes parents pleuraient. Nous avions beaucoup de conflits, mon père et moi…

Je n’ai pas envie d’expliquer en détails les raisons pour lesquelles j’ai pensé au suicide. D’abord parce que ça m’appartient. Ensuite, parce que, des raisons, il y en a des milliers, au fond. Un mal-être, un mal de vivre, une situation familiale complexe, de l’intimidation… Ce n’est pas du pourquoi qu’il faut parler. C’est du fait que c’est passager.

Je réalise que ceux qui connaissent la Véro d’aujourd’hui ne m’imaginent probablement pas comme une personne ayant déjà voulu se suicider. C’est aussi pour ça que j’ai décidé d’en faire un article. Pour prouver que c’est passager. Qu’il y a un après. Et un beau à part de ça! Que c’est possible de rester en vie ET d’arrêter de souffrir. J’ai 32 ans, trois beaux enfants, un mari extraordinaire, une vie que j’aime et je suis heureuse. Je remercie tellement ces anciennes amies qui ont fait ce qu’il fallait, même si nos chemins se sont séparés par la suite. Je remercie tellement la vie d’avoir posé en moi la force de remonter à la surface et de m’épanouir pleinement.

Je ne peux m’empêcher de penser que la petite Marianne aussi, aurait pu être comme moi, plus tard. Nous n’avons pas su la sauver, elle, et tellement d’autres. J’ai pleuré en voyant sa photo… d’une tristesse vive et connue.

Je ne critique pas ses proches. Je m’inquiète pour la génération qui suit par contre… Il faut sortir de nos écrans, ça presse! Il faut parler. Il faut écouter. Il faut observer. Il faut lâcher le virtuel un peu et se connecter les uns avec les autres, pour de vrai. Ça a sauvé Véro il y a 20 ans et ça peut sauver les Marianne de ce monde.

 

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