Petite maman Instagram, belle bédaine de Pinterest, t’es magnifique! T’as une belle peau, des cheveux parfaits, tes photos sont toujours pures, remplies de bonheur. Et que dire de la chambre de ce petit ange que tu attends! Les plus grands magazines ne sauraient accoter ce décor plus blanc que blanc, invitant, doux et lumineux que tu as créé! Il est évident que tu te dévoues déjà pour ce petit enfant qui grandit dans ton merveilleux ventre tout rond qui n’a pas dépassé la largeur de tes hanches.
Je regarde tes couches et tes lingettes lavables stylées, tes produits écolos soigneusement choisis sans phtalates, sans parabènes, non testés sur les animaux, végétaliens, et je me dis que t’es vachement plus renseignée que je ne l’étais à mon premier!
T’es prête pour l’allaitement aussi. Tu t’es même pas posé la question après avoir lu dans quatre études différentes que c’était le meilleur moyen de nourrir ton bébé sainement. Et tu affronteras les jugements de la génération d’avant qui te dira que tu devrais lui donner un biberon pour qu’il fasse ses nuits – ou une cuillerée de céréales – ou une mini gorgée de gin. Tu expliqueras ce que tu as lu et ils comprendront bien sûr! Le seul biberon que t’as acheté, avec une tétine sans BPA, sera exclusivement utilisé pour l’eau que tu auras soigneusement bouillie et refroidie si jamais ton bébé fait de la fièvre. Parce que, non, il n’aura pas besoin d’eau sinon, il sera allaité. J’admire ta détermination.
T’as fini ta valise d’hôpital la semaine dernière. Celle du bébé était prête quelques jours avant. T’as mis ton plan de naissance dans la petite poche en avant. Tu te sens prête pour ton accouchement naturel dans le bain de la maison de naissance. T’as aussi lu sur l’accouchement à la maison, au cas où. Tu m’impressionnes! J’étais loin d’être aussi confiante il y a 7 ans!
En plus, t’es super bien équipée! Hier, t’as lavé tous tes petits pots à congélation et t’as fini de lire ton 2e livre sur l’alimentation bio et végé pour bébés. Tu as même commencé à faire des provisions dans le congélateur et à préparer des collations pour le retour à la maison avec ton petit chérubin. Tu as pratiqué tous les noeuds de portage de ton écharpe en bambou. Tu as déposé ton long coussin d’allaitement flexible, en coton biologique et localement fait à la main sur ton côté de lit, à côté du moïse tout près. Tu te sens confortable avec l’idée du cododo et tu t’imagines allongée, avec ton bébé tout neuf, yeux dans les yeux. Vous plongez tranquillement dans le sommeil. Un moment de bonheur pur. C’est vrai que ces petits instants sont magiques.
Ta dernière photo m’a émue. Celle que tu as mise ce matin. Dans ta maison impeccable, lumineuse et sereine, tu as déposé tes mains sur ton ventre en baissant les yeux. On voit dans ton regard tout l’amour que tu portes à ce petit miracle qui vient. Je te l’ai dit, t’es magnifique.
Mais j’ai quand même un peu peur pour toi. J’imagine déjà tes photos après. Dans ton superbe décor Instagram. Avec ta petite merveille. Dans ton jeans d’avant 2-3 mois après l’accouchement. Dans ta photo, tu allaites en parfaite harmonie, avec le sourire. Et tu nous écris à quel point tu es heureuse et que c’est le plus beau cadeau que la vie t’ait fait. Je te crois. Je te comprends.
Sauf que, c’est beaucoup, tu trouves pas? Tu as de beaux principes. T’es 100 fois plus prête que je ne l’étais. Tu as pris ton rôle au sérieux et tu feras une bonne maman. Ne doute pas de ça. Mais c’est beaucoup de pression, tout ça.
Personne n’est parfait avant de devenir parent. On ne le devient pas plus quand nos petits minis arrivent. Même que, ils sont plutôt doués pour faire ressortir le meilleur ET le pire en nous.
Je trouverais dommage que tu te mettes à douter de tes capacités parce que ton beau piqué imperméable d’un designer québécois est taché des défécations de ton petit ange. Ou parce que, t’as beau essayé, l’allaitement va tellement mal que tu te caches dans la salle de bain pour pleurer aussitôt que t’as fini. Ou parce que les planchers de ta maison impeccable sont soudainement devenus quelque chose d’un peu collant pour tout déposer: sac à couches, vêtements sales, vêtements propres, parc, chaise, coussin d’allaitement, jouets, mouchoirs. Ou encore parce que ça fait deux jours que t’as pas pris une douche digne de ce nom et que tu sens le lait sûr. Ou bien parce que, finalement, t’as acheté une boîte de lingettes le temps que t’aies le temps de faire tout ton lavage…
Ne te sens pas merdique si t’as accepté la péridurale à l’hôpital, ou si tu donnes des fraises pas bio achetées chez Maxi. Ne doute pas de tes compétences si tu n’es pas exactement la mère que tu t’étais imaginée devenir.
T’as le droit de penser que ton petit ange n’en est pas un, finalement. C’est un enfant, à la fois unique et comme tous les autres. Ça ne t’empêchera pas de l’aimer de tout ton être. Et si cet amour n’était pas instantané, tu n’en deviendrais pas un monstre.
Ça se peut que tu vives mal avec ton nouveau corps. Que tu remettes tes jeans (ou pas), que ton ventre ait maintenant plein de petits chemins creusés par la vie (ou pas), que tes seins n’aient plus leur tonus ou qu’ils deviennent démesurés, des choses changeront. Je trouverais ça triste que tu te sentes moins femme. Ne laisse pas ces idées entrer dans ta tête.
Il y a 6 ans et demi, j’ai frappé mon propre mur de la maternité. Pourtant, je n’avais pas tant d’attentes! J’ai accouché en n’ayant pas de décision claire par rapport à l’allaitement. L’accouchement s’est bien passé, mais il ne s’est pas vraiment passé comme je l’avais imaginé… L’allaitement a jamais fonctionné au premier. Je me suis sentie tellement coupable et jugée. J’ai tiré mon lait pendant un mois et demi pour lui donner, en échange de mon équilibre mental. Ma maison était un bordel plus souvent qu’autrement. J’ai sous-estimé l’importance que j’accordais à l’opinion des autres. On me donnait des conseils que je n’avais pas souvent demandés et ils m’atteignaient comme une flèche en plein coeur. J’étais sans doute un peu trop susceptible et remplie d’hormones, mais c’est tellement difficile d’être objective face à ce que nous chérissons le plus!
J’ai dû réalisé et accepté que je n’étais pas une mère parfaite et que je le serais jamais. Ce qui est bizarre, c’est que je ne savais même pas que c’est ce que je tentais d’être! Encore aujourd’hui, après trois enfants, je ne sais pas toujours ce que je fais! J’apprends en même temps qu’ils grandissent. J’essaie d’accepter les leçons avec humilité.
Et c’est là où j’ai peur pour toi, Maman Instagram. Laisses-tu de la place à l’erreur? Aux remises en question? Aux imperfections? Aux attentes que tu n’atteindras jamais? Laisses-tu un espace pour le laid? Pour tes côtés sombres que tu découvriras? Pour ceux de ton partenaire? De ton enfant? Sauras-tu accepté les jours gris? Les pleurs? Les déceptions? Le découragement? L’impuissance?
Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité.
– Carl Gustav Jung
Le plus grand miracle de la vie n’a pas lieu dans un univers d’arc-en-ciel et de licornes ou dans un décor pur et blanc d’Instagram. Le plus grand miracle de la vie, c’est d’atteindre à la fois le plus beau et le plus laid de l’humanité et d’en ressortir grandit, un peu, chaque fois. C’est de réaliser que le beau n’existerait pas sans le laid. C’est d’explorer toutes les nuances qui se trouvent entre les deux et tenter de comprendre pourquoi il nous faut les traverser. C’est simplement d’aimer assez pour voir que, dans le fond, c’est eux qui nous apprennent tout.
Alors que nous essayons d’enseigner la vie à nos enfants, nos enfants nous montrent ce qu’est la vie.
– Angela Schwindt
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