Juste avant que tu partes… Il faut que je te dise…

Hier, j’ai glissé ma main dans la tienne. Cette main un peu froissée que j’ai toujours trouvée si douce. Tu as serré la mienne un peu. Puis tu as fermé les yeux. J’avais envie de pleurer, mais la souffrance qui se lisait dans ton visage m’a donné la force de t’accompagner en silence et en douceur. Ensemble, on a attendu que ça passe.

Ça m’a déchiré le coeur de te voir ainsi. Parce que ce que tu représentes pour moi est beaucoup plus joyeux.

Tu es le symbole de mes plus beaux rassemblements. De ces tablées d’abondance. De ces incalculables tartes au sucre (au chocolat, au caramel, au Corn Flakes…) que tu préparais en sachant très bien laquelle était ma préférée. J’en rapportais toujours. Nous en rapportions tous. Depuis quelques années déjà, j’en fais aussi. Mais elles ne seront jamais aussi bonnes que les tiennes.

Ce goût de cuisiner de bons plats pour ma famille. Ce plaisir viscéral de recevoir des groupes à l’occasion. L’amour qui me remplit quand je vois ma propre tablée pleine de ces gens que j’aime et qui discutent ensemble. C’est toi. Tout ça, ce sera toujours toi. Tu ne donnais pas les plus gros cadeaux, mais tu donnais ton amour dans chaque pincée de sel, dans chaque coup de rouleau, dans les plats bleus pour la soupe au chalet dont mes enfants se servent maintenant et dans tous ces “bonsoirs” un peu trop formels que tu lançais quand même avec le sourire à chacun de mes départs.

Ma belle grand-maman, j’ai aussi un peu puisé de ma force dans la tienne. Je sais que tu as vécu ton lot d’épreuves, dès ton plus jeune âge. Tu m’as glissé mot de ces difficiles instants depuis que je suis adulte. Mais tu n’en laissais rien paraître quand j’étais trop jeune pour en saisir les nuances.

Pour moi, tout avait l’air facile de ton côté. Avec tes cheveux toujours bien coiffés, ton maquillage subtilement appliqué, tes bijoux soigneusement agencés, tes manteaux de fourrure dont tu étais fière, ton doux parfum. C’était là les symboles que tu avais réussi. Tout ça faisait de toi une femme de son temps, mais qui a su prendre sa place. Une femme de caractère qui ne s’en laisse pas imposer, mais qui fait tout de même preuve d’une grande sensibilité. Je ne suis pas devenue féministe pour rien. Mes deux grands-mères ont été des inspirations indéniables. J’espère que ma fille s’en inspirera aussi.

C’est plus tard que j’ai décelé ta vulnérabilité, ta fierté et ton orgueil développés au fil de durs labeurs. C’est quand je suis devenue maman que j’ai compris l’ampleur des peines que je lie maintenant à certains événements. Tu as eu une belle vie, bien remplie, sans pour autant dire qu’elle a été facile. Ton sourire sera toujours une inspiration pour que je traverse moi-même les épreuves de la vie avec dignité.

Et je souhaite devenir ce lien que tu as été dans ta famille. Celle qui rassemblait tout le monde. J’aimerais être cette personne pour les miens, pour ma famille, pour mes amis. Celle qui inspire les belles soirées un peu arrosées, les repas partagés qui s’étirent, les veillées où les enfants s’endorment dans une pile de manteaux.

Dans notre carte de mariage, tu as écrit: “Nous vous souhaitons une vie aussi longue que la nôtre.” Tu disais souvent des affaires qui se réalisaient. Tu nous le prouves encore aujourd’hui. Dans ce cas bien précis, je te dis merci. C’est le plus beau souhait du monde. Si je réussis à bâtir un couple aussi solide et aimant que tu l’as fait avec grand-papa, c’est que vous en aurez été le principal modèle. Du moins, le plus beau à mes yeux. Et oui, ce sera la plus belle longue histoire de ma vie.

Grand-maman, quand tu ne seras plus là, je veillerai sur tes souvenirs. Je te garderai vivante. Je te placerai tout juste à côté de ton mari dans mon coeur et je vous emporterai partout. La petite Alice comme tu l’appelles te connaîtra aussi bien que ses frères. Et je te souhaite de continuer ta longue vie avec lui. Il disait que c’était bin beau en haut. Certaine qu’il t’a gardée la plus belle vue.

Ah! Et il faut que je te dise…

Je t’aime.