Cette semaine, j’avais froid. Les pieds et les mains gelés, plus que d’habitude. Un froid qui te tient réveillée la nuit, qui ne te quitte jamais vraiment.
C’est le lendemain matin, avec des poches sous les yeux et des jambes trop lourdes pour la journée à venir, que je me suis souvenue.
La catalogne de grand-maman.
Je l’avais mise de côté depuis quelques années. Notre ancien couvre-lit était plus chaud et Maxime transpirait chaque nuit. Non, merci.
Mais j’ai jamais réussi à m’en débarrasser. C’est pas toujours pratique une catalogne. C’est lourd. Ça se lave mal dans la machine, ça prend une éternité à sécher.
Sauf qu’un seul regard sur ses couleurs vives, sur les bouts de tissu soigneusement assemblés, sur les petits fils qui se croisent, fins, solides aussi, et j’oublie tout.
Tout ce que je vois dans ma tête, ce sont les mains de ma grand-mère. Ses mains un peu ridées, aux veines saillantes, aux petits doigts solides. J’imagine les heures qu’elle a passées à créer cette véritable œuvre pour moi. Comme elle l’a fait pour tant d’autres dans la famille. Non, mais quelle femme!
Je lave le lit, je sens le parfum des draps encore chauds. J’entrevois déjà une bonne nuit. Je prends soin d’insérer la catalogne entre le couvre-lit et le drap, là où elle est à son plein potentiel. Je n’en reviens pas qu’elle soit encore en aussi bon état.
Je devais être au début de l’adolescence quand elle me l’a offerte ; ma sœur, ma cousine et moi en avions chacune une cette année-là. J’avais choisi la plus colorée. Elle avait souri, comme si elle savait déjà.
Cette grand-maman au doux visage, j’aurais aimé la connaître davantage à cette époque-là. La tension entre elle et mon père était palpable. Qui peut réellement la blâmer? Une mère, ça sait. Reste que se rapprocher d’elle était presque interdit.
Enfin, la journée se termine. J’ai hâte de m’insérer dans mon lit tout propre et chaud. J’ai des heures de sommeil à rattraper. Je glisse mes jambes, puis tout mon corps sous les couvertures et je me sens enveloppée.
J’ai l’impression d’être dans un lit d’hôtel, mais en mieux. C’est fou que tant d’années après son départ, ma grand-mère arrive encore à me réchauffer le cœur!
Je laisse le sommeil me gagner doucement en me rendant compte de l’influence que Rita a eue sur moi, même à distance. Je sais aujourd’hui que ce petit bout de femme n’était pas parfait. Quel caractère elle avait parfois! Elle pouvait avoir le jugement facile par moments.
Comment ne pas pardonner ces défauts ce soir, blottie dans cette couverture entièrement faite de ses mains? Comment ne pas ressentir aussi sa chaleur humaine? Comment ne pas comprendre tout le dévouement qu’elle portait à sa famille?
Les tablées remplies de pâtés, de tartes, de mets chinois, de soupe poulet et riz, de dinde avec des petits pois, de grosses barres de chocolat, de petits pains au four… Parmi mes plus beaux souvenirs d’enfance se trouvent assurément ces soirées où le ventre était plus gros que ce que mes collants supportaient. Ça, et ses beaux cheveux blancs soigneusement coiffés.
J’étais beaucoup trop jeune pour comprendre que tout son être teinterait la mère que je suis aujourd’hui. Celle qui en fait beaucoup, des fois trop. Celle qui veille sur tout le monde, qui s’inquiète et qui a trop froid pour dormir la nuit.
Ma grand-mère savait quelle tarte était la préférée de chaque membre de la famille. Elle en faisait une pour chaque personne. Elle les étalait sur sa laveuse et sécheuse au sous-sol, un papier ciré par-dessus pour ne pas que la pâte sèche. Ça m’impressionnait chaque fois, cette collection de tartes qui sentaient si bon!
Plus jeune, elle avait fabriqué des manteaux de fourrure pour ses filles. Ils n’avaient pas beaucoup de moyens à l’époque. Ce n’était pas une raison pour ne pas être bien mis! C’était important pour elle, elle qui avait manqué de tout enfant. Elle leur avait confectionné ça à partir de vieux manteaux. Ma mère m’en parle encore avec des étoiles dans les yeux.
Elle n’était pas la plus expressive. Elle parlait par ses gestes, un peu chaque jour. Aujourd’hui, je sais tout l’amour qu’il y a dans cette catalogne.
Mes enfants grandissent. L’adolescence, quelle montagne russe! Tu disais:
Petits enfants, petits problèmes, grands enfants, grands problèmes!
Tu savais bien plus qu’on ne le pensait. Je le sais aussi, maintenant.
Le froid venait de l’intérieur depuis quelque temps. Mais pas ce soir. Ce soir, je suis bien au chaud.

